Made with racontr.com

PKK :

Récit d'un combat pour la dignité du peuple kurde



alt

  

Nous avons tous déjà entendu parlé de la question kurde au Moyen-Orient. Cette minorité (allant de 25 à 35 millions de personnes selon les chiffres) étalée sur quatre pays : Turquie, Iran, Irak et Syrie, ne s'est jamais vue accordée le droit à une nation propre et est considérée depuis plusieurs décennies comme une constante menace pour l'intégrité territoriale des pays où elle s'installe. Un rejet permanent qui s'est souvent accompagné de mesures répressives et de privations de libertés de la part des Etats, en particulier la Turquie, créant des circonstances propices à la rébellion kurde, menée par l'action du PKK (Parti des travailleurs kurdes) depuis sa création en 1978. 

Encore considéré par de nombreux pays (Etats-Unis, UE, Turquie, etc.) comme une organisation terroriste, ce parti politique et armé, qui porte son action principalement dans le Sud-Est de la Turquie, ne cesse de susciter les interrogations, tantôt accusé de ses crimes, tantôt encensé du courage de sa lutte et de ses vélléités démocratiques. Et il est ô combien incertain de savoir si les temps actuels apporterront de l'appaisement et une clarification de la situation du PKK, impliqué dans un contexte de guerre régionale où les différentes forces idéologiques, politiques, religieuses et surtout militaires s'affrontent, et se détruisent.

Le PKK, en lutte armée contre la Turquie et qui combat également Daesh en Irak et en Syrie, se retrouve donc au point de convergence de plusieurs conflits, à l'instar du peuple qu'il se tue à défendre. Un bourbier dans lequel se sont retrouvés les kurdes sans rien avoir demandé, hormis leur indépendance.   

Long format immersif et inédit du pureplayer 


P  A  U  S  E



Sur la résistance kurde.

Décryptage de l'actualité et de l'histoire du PKK, le premier rempart à l'opression turque et à toutes les injustices que subit le peuple kurde 

Répartition de la population kurde au Moyen-Orient

I - Contexte actuel 

alt

  Les relations entre l'Etat turc et les représentants du PKK ont toujours été tendues car la partie turque du Kurdistan revendique son indépendance depuis plus de 35 ans maintenant. En 2012, les deux parties avaient signé une trêve pour arrêter l’effusion de sang, cette lutte ayant causé plus de 40 000 morts depuis 1984. Mais le 16 décembre 2015, le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan a décrété une nouvelle opération militaire. Il a même déclaré que les offensives de l'armée ne cesseraient pas avant que le PKK ne soit «éradiqué». 



Le Sud-Est de la Turquie, qui est la région du pays la plus fortement peuplée par les kurdes, est actuellement le théâtre de l'opposition militaire entre Ankara et le PKK, les combats ayant repris de plus belle depuis juillet 2015.

Des affrontements meurtriers sont redevenus monnaie courante dans plusieurs villes du Sud Est comme Cizre (photo à gauche et vidéo à ci-dessous), Silopi, Diyarbakir ou encore Nusaybin. L’escalade de la violence, les combats persistants, les couvre-feux et la répression du peuple kurde entamés dans le cadre de l’opération militaire d’Ankara contre le PKK ont forcé des milliers de Kurdes à quitter leur maison. Le PKK tente de lutter aux côtés des révoltés kurdes qui ont pris le chemin de la résistance, mais dont les moyens militaires sont ridicules en face des chars d'assaut turcs. Le PKK réagit par des attentats ciblés ou des opérations de contre-offensive, qui ont participé, avec les bombardements turcs, à la quasi-destruction de ces villes. 

 


alt

  La ville de Cizre, comme à Diyarbakir ou à Sur, ressemble de plus en plus aux paysages de guerre de la Syrie voisine. Immeubles détruits, maisons criblées d’impacts, murs percés de trous d’obus, les combats entre les autorités turques et les combattants du PKK ont fait des ravages dans plusieurs quartiers de ces villes.    

alt

Avant tout, dans quel état es-tu, comment vas-tu ?


Comment veux -tu que je sois. J’essaye de récupérer. Je me suis rendu compte qu’on devrait passer à une période de récupération. Les personnes qui sont mortes, étaient mes amis très proches. Le fait d’être parti de ce sous-sol, de les avoir quitté, était un complet hasard. Je suis parti, puis j’allais y retourner, puis la route a été fermée. C’était des camarades infiniment proches. Le plus désolant est le fait que la majorité étaient des civils, des étudiants… Une personne qui combat, peut mourir dans le combat, c’est aussi douloureux mais différent. Mais, on est encore plus triste pour celui qui n’a jamais combattu, je ne sais pas moi, qui est juste présent par dévouement, qui ne se défend pas. Quand on pense comment ils ont été tués, on se déchire.


Depuis quand tu étais à Cizre ?


Cela fait pile un an.

Maintenant, l’Etat dit : « L’opération est terminée avec réussite. » Qu’a-t-elle fait cette opération à Cizre ?

A vrai dire, tout le monde voit le résultat, clairement. Les images prises par l’agence de l’Etat, depuis des blindés, mettent à jour, l’état dans laquelle est mise l’infrastructure de la ville, les habitations, les avenues. Mais à part cette destruction, il y a bien sur aussi, l’impact que cela a fait sur les gens.

L’Etat annonce « J’ai apporté la sérénité », « J’ai fait une opération réussie », mais désormais, les gens d’ici, se souviendront de l’Etat avec cette épave. De toutes façons, depuis des années, quand on dit Etat, les gens pensent à ce genre de choses, et pas à autre chose.


Déjà, la raison qu’une résistance soit organisée à Cizre aujourd’hui, n’était pas les épaves que l’Etat a crées dans le passé ?


.Je dis toujours : les jeunes qui résistent contre l’Etat aujourd’hui sont les jeunes qui lançaient des pierres contre lui. Etant enfants ils ont lancé des pierres, mais l’Etat au lieu de comprendre ces enfants, ou de réaliser leur revendications, les a attaqués d’abord avec des gaz lacrymos, ensuite avec des armes. Ensuite ces enfants ont été arrêtés. Regardez le passé de chacun d’eux, ce sont des enfants qu’on appelle « victimes de TMK* ». Maintenant ces enfants ont grandi.

[*Victimes de TMK : Dans les villes de Sud Est de la Turquie, après la reforme dans la loi, de la lutte contre le terrorisme (TMK) en 2006, des mineurs ont été arrêtés, jugés et incarcérés en prison adultes, en violation des droits d’enfants. La plupart ont été arrêtés, sur soupçons infondés, parce qu’il y avait la marque de pierres dans leur paume, ou ils étaient transpirants etc… ]

La résistance de Kobanê, comme dans tout le Kurdistan, a changé beaucoup de choses à Cizre aussi. Mais la situation des jeunes de Cizre était un peu différente. Tu sais bien, Cizre, pour le mouvement de libération de Kurdistan, est une ville symbolique. Les jeunes ont commencé à s’organiser ici, depuis 2009. Leur objectif principal était plutôt protéger au sens général, la ville dans laquelle ils vivait, que le combat armé contre l’Etat ou de l’autodéfense physique.


C’est à dire, que faisaient-il ?


Ces jeunes, ont stoppé à Cizre, le vol, la drogue et la prostitution… Tout le monde le sait dans quel état était cette ville en 2009. C’était comme la période, où les gens ne pouvaient même pas traverser les rues de Diyarbakır, de Bağlar ; l’Etat avait mis Cizre dans le même état après les opérations contre le KCK [Koma Civakên Kurdistan, Le groupe des communautés du Kurdistan] en 2009. A chaque coin de rue, il y avait des voleurs, des dealers, des prostituées et les jeunes étaient transformés en espions. Dans un premier temps, les jeunes ont commencé à s’organiser comme une réaction contre tout cela, et dans la mesure où ils ont réussi, sont devenus la cible de l’Etat.


Nous voyons pas mal de chiffres [sur les morts], tous les jours nous nous battons avec des chiffres. Mais il y a une histoire de vie derrière chaque nombre… Tu connaissais presque tous, tu es l’enfant de là-bas. Comment les jeunes résistaient-ils ?


Malgré leurs moyens réellement limités, ils ont fait une résistance honorable, contre dix mille militaires professionnels d’un Etat qui dit qu’il possède une des meilleure armée du monde, dotée de toutes technologies et une force extraordinaire. Je peux dire que cette résistance continuait même dans le sous-sol.

Parfois dans la presse turque, on voit des nouvelles comme « tant d’armes on été saisies », «ils possédaient tant de munitions ». Nous étions là. Nous avons vu, avec quoi ces jeunes résistaient… Avaient-ils des armes ? Oui, bien sur. Mais sois en sur, l’arme de chaque jeune à terre, était récupérée par un(e) autre, parce que le nombre d’armes qu’ils possédaient était très limité. Les chars avaient encerclé la ville et sans cesse, ils tiraient au canon sur le centre ville. Ensuite ces chars ont essayé de s’introduire dans les quartiers. Les jeunes ne pouvaient pas faire grand chose face aux chars. Ils prenaient des couvertures et plaids et les jetaient sous les chenilles pour les bloquer. Plusieurs d’entre eux on été blessés en jetant des couvertures. Les chars ne pouvant pas avancer sur des couvertures, continuaient à tirer au canon, de là où ils étaient bloqués. Des blindés venaient pour les débloquer et les jeunes résistaient en lançant des cocktails Molotov sur ces véhicules.

Ils n’ont jamais eu des conditions égales. Ils avaient fabriqué des « gilets-livres pare-balles» pour se protéger des tirs. Ils entouraient des gros livres de tissus, les cousaient ensemble en forme de gilet. Tous les résistants et les civils qui vivent en ville utilisent ces gilets-livres pour aller d’un endroit à l’autre. Les balles, sont retenues, plantées dans les livres.

Par ailleurs, ils jetaient de la peinture sur les vitres des véhicules blindés. Ils avaient toujours une méthode alternative pour contrer chaque type d’attaque. Ils ont résisté comme ça.

Ils sont restés affamés des jours et des jours. Il y a eu beaucoup de difficulté de nourriture lors du blocus qui a duré des mois. Mais malgré cela, dans les barricades, dans les rues, en défendant maison par maison, ils ont essayé d’empêcher que l’Etat avance.


Mehmet Tunç, co-président du conseil populaire de Cizre avant son assassinat, est un nom important de la résistance et il est devenu un symbole. Comment le connaissais-tu ? Quel genre de personne il était, et comment est-il devenu un pionnier ?


Je connaissais Mehmet Tunç depuis mon enfance. Après, en 2009 il ést devenu président de la commune. C’était quelqu’un qui prenait toujours place dans la lutte. Quand je suis sorti de la prison, on a recommencé à se voir.

Tu peux demander à n’importe qui de te parler de Mehmet Tunç, il te dira les mêmes choses. C’était une personne courageuse, qui ne faisait pas de concessions, qui pouvait mobiliser les gens, un pionnier. Pas seulement dans cette dernière période, mais en 2008, 2009 aussi… Dans les périodes les plus difficiles, Mehmet Tunç il était capable, rien qu’en passant d’une maison à l’autre, de mobiliser les masses pour la résistance.


Actuellement, après tant de vécu, que ressentent les habitant de Cizre ?


Bien sûr dans la ville, une atmosphère de tristesse et de douleur règne. Les gens ont encore du mal à réaliser. Mais je dirai aussi ceci : Les gens sont actuellement décidés. Dans cette ville près de 250 personnes on été tuées. La majorité des derniers tués étaient des étudiants, et avant, il y a eu beaucoup de morts, jusqu’à des enfants  de 9-10 ans. La plupart de ceux qui ont été tués, étaient enfants de cette ville, et résistaient derrière des barricades. Parce qu’ils avaient perdu eux-mêmes leurs proches et ils avaient reçu cet héritage et étaient passés à la résistance. Maintenant, la seule chose que la plupart des habitants de la ville veut, c’est la levée du couvre-feu, puis récupérer et renforcer la résistance. Tout le monde pense « Comment pourrons-nous organiser une résistance plus efficace ? ». Peu importe avec qui je parle, ils disent « Comment puis-je revenir sur Cizre ? », « Comment peut-on mener un combat, pour demander des comptes pour nos frères ? »

Je peux dire que dans la ville il y a une ambiance de vengeance qui règne. Les gens ont de grandes attentes du Mouvement de la Libération kurde, mais si leurs attentes ne se réalisent pas, il peut y avoir même des vengeances personnelles, et c’est fort possible. Il y a des familles qui ont perdu deux, trois proches. Trois frères et soeurs tués ensemble, ou des cousins, cousines… Je peux exprimer clairement que tout le monde attend les jours de vengeance.


Y-a-t-il un sentiment d’être battu ?


Non, parce que pour la plupart des gens, la mère, le père de ces gamins, leur famille ont vécu les années 90… Puisqu’ils ont payé le prix dans ces années là aussi, ils savent qu’on peut avancer sur ce chemin, même si on trébuche ou tombe parfois. Ce sont des gens qui savent bien, qu’après des centaines de morts, cette lutte ne se terminera pas. Cizre est une ville qui a connu des massacres périodiques durant ces quelques années mais qui arrive à résister chaque fois. C’est pour cela, que ces gens disent, comme je raconte, « récupérons et demandons des comptes sur nos proches qui ont été massacrés ».









" En moi une part de chacun,       un concentré de résistance "

alt

 Mehmet Tunç and his brother Orhan Tunc

 Leurs obsèques

  Ce constat de Veli Pehlivan reflète la situation de ces villes, où des membres des deux camps meurent, et où de nombreux civils sont aussi tués (167 à Cizre depuis la reprise des combats). Les populations restées sur place vivent régulièrement sans eau, sans électricité, sans téléphone ni soins médiacux. C'est le cas à Cizre, un des fief du PKK, qui se trouve après deux mois-et-demi de combats et de couvre-feu complets, dévastée et vidée de toutes ses richesses humaines, sociales et culturelles. Pourtant, cette destruction massive de la part de l'armée turque et de ses forces spéciales de police ne font pas reculer de nombreux résistants, appartenant ou non au PKK. Il s'agit d'une lutte désormais transmise par héritage, qui continue d'attirer dans ses rangs de nombreuses personnes révoltées, effondrées par la mort de leurs proches ou la destruction de leurs biens. Parmi elles, beaucoup de jeunes, comme ce journaliste de 24 ans que  le magazine Kedistan a rencontré, Osman Oguz, à Cizre. Il nous raconte sa résistance, et celle des autres.

alt

Un Reportage et témoignage du journaliste Osman Oğuz publié le 24 février, sur la résistance de Cizre. 


« Les régions kurdes de l'Est de la Turquie semblent revenues aux pires années du conflit qui a fait quelques 40 000 morts depuis 1984. Plus grave, alors que les troubles des années 1990 opposaient les combattants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à l'armée dans les montagnes kurdes, les affrontements se déroulent aujourd'hui au coeur des villes. »


Veli Pehlivan, doctorant à l'EHESS. 


   Depuis 2013, le PKK menait des pourparlers en vue d'un accord de paix intégral avec l'Etat turc sur les bases des négociations des 10 points de Dolmabahçe. Ceux-ci ont été arrêtés l'été dernier par Erdogan, reprenant son discours de sourd en qualifiant le PKK d'organisation terroriste, avec qui il lui était "impensable" de négocier. Par la suite, la Turquie a débuté une politique de couvre-feux militaires et de mesures sévères contre les villes kurdes du sud-est de la Turquie. Des chars d'assaut turcs ont pilonné Cizre, près de la frontière syrienne, et les opérations militaires à Diyarbakir et Silopi s'intensifient chaque jour.




Recep Tayip Erdogan, Président de la Turquie depuis 2014

alt

Mais là où Erdogan a affirmé sa position vis à vis des souhaits de réconciliation kurdes, c'est dans sa relation avec le HDP (Parti Démocratique du Peuple), un parti qui unit les forces nationalistes kurdes et des groupes de gauche en Turquie, et qui est dirigé par M. Demirtas, lui-même kurde. Jusqu'alors, le HDP a appelé à plus de droits pour la population kurde au sein de la Turquie, plutôt qu'à la création d'un Etat kurde en dehors de la Turquie. Fin décembre, M. Demirtas a soutenu une résolution votée par le Congrès de la société démocratique kurde (DTK), qui réitérait sa demande pour la création d'une région autonome kurde et des « institutions pour un gouvernement autonome ». M. Erdogan a qualifié de « trahison » l'action de M. Demirtas. Il a ensuite lié le HDP au PKK, reprenant l'excuse terroriste, alors qu'il n'existe pas de lien organique entre les deux partis, bien que d'anciens guérilléros du PKK aient rejoint le HDP. Erdogan a ensuite déclaré, lors de son discours de Ramzan, prononcé dans une mosquée d'une banlieue d'Istanbul, qu'il comptait mener une guerre non seulement à l'encontre du PKK, mais aussi du HDP. Quel est l'objectif de cette manoeuvre ? Freiner la progression du HDP, soutenu par les kurdes et également par une partie de l'électorat turc, afin d'atteindre ses ambitions politiques, qui consistent à remplacer le pouvoir parlementaire actuel par un pouvoir présidentiel où il aurait les pleins pouvoirs. Les victoires du HDP lors des deux élections législatives de 2015 ont empêché le Parti de la justice et du développement (AKP, parti d'Erdogan) d'obtenir la majorité absolue au Parlement (lors de l'élection de juin 2015, et une majorité insuffisante pour changer la Constitution, lors de l'élection de novembre dernier), ce qui lui aurait donné le pouvoir de changer le système. La guerre que mène Erdogan contre le HDP, mais aussi contre les médias turcs - légitimement critiques devant sa politique de plus en plus autoritaire, entêtée et aux traits racistes envers la population - découle de cette frustration politique. Des assassinats et des arrestations d'hommes politiques pro-HDP ont même été entreprises par l'Etat, à commencer par l'assassinat  de l'avocat des droits de l'homme, Tahir Elci, fin novembre 2015. M.Demirtas a réagit à ce scandale en déclarant : « Ce qui a tué M. Tahir n'est pas l'Etat, mais l'absence d'Etat ».