Made with racontr.com
alt

     Si les combats entre les autorités turques et les forces kurdes ont repris si vite aujourd'hui, en l'espace d'une année à peine, c'est bien le signe que des plaies restaient ouvertes, et que les traces laissées par ce conflit profond et douloureux ravivent la tension à la moindre attaque de l'un des deux camps. L'histoire kurde a été traversée par des périodes de massacres et de discriminations fortes, souvent insupportables, sans jamais accéder à une véritable autonomie ou reconnaissance de la part des Etats où les kurdes vivent. Il n'y a que la communauté kurde d'Irak qui a pu être reconnue en 2005 grâce la création d'une "région autonome" : une entité politique et fédérale ayant son propre budget, située au Nord de l'Irak. Mais ce bout de terre ne correspond en rien aux voeux indépendantistes, ou en tous cas autonomistes, de la nation kurde dans son ensemble. En Turquie, où se trouve la majorité de la population kurde (à peu près 15 millions de personnes soit 20% de la population turque), la situation ne s'est jamais réellement appaisée, laissant la question kurde sans réponse.

 

 

 

 

Un peu d'histoire...


Il est compliqué de se mettre à la place de gens qui ont hérité et existent dans la condition d'un peuple dont le pays "d'accueil", la Turquie, s'est batîe elle-même sur le déni de l'existence de ce peuple. Dès 1920, alors que la première guerre mondiale s'achève, et que l'empire Ottoman implose suite à la victoire des alliés qui se partagent l'influence sur les territoires du Proche-Orient, la question de l'indépendance des kurdes, et des arméniens, est mise sur la table. Le premier traité, celui de Sèvres en 1920, aurait accordé l'autonomie aux kurdes en Anatolie (le sud est de la Turquie). Mais ce traité, accepté par le Sultan de l'époque Mehmet VI, est rejeté par les forces de la révolution nationaliste turque, portée par Mustapha Kemal Atatürk, considérant la répartition du territoire ottoman injuste pour la Turquie (le traité ne lui accordant que 23% de la superficie de l'ex Empire Ottoman). Ce désaccord prit une ampleur importante quand Mustafa Kemal, qui commença à organiser un pouvoir nationaliste parallèle en 1919, mena une guerre contre le pouvoir du Sultan, contre les troupes grecques et arméniennes, contre les autonomistes kurdes et contre les troupes d'occupation italiennes et britanniques. 

Cette guerre civile dura trois ans et déboucha sur la négociation d'un nouveau traité, concomitant à la victoire des forces kémalistes. Ce nouveau traité est signé à Lausanne, en 1923, et garantit cette fois à la Turquie un plus vaste territoire, les Alliés renonçant à la demande d'indépendance du Kurdistan et de l'Arménie. Le Royaume Uni hérite d'un protectorat sur l'Irak, la France sur la Syrie et le Liban. Il faut bien noter que ce traité a créé des frontières ne prenant pas en compte les zones géographique initiales des différents peuples régionaux, ni leur avis puisque les signataires sont tous européens, hormis la Turquie de Kemal et.. le Japon. Mustapha Kemal est reconnu dans ce traité comme légitime à la tête du régime, qui devint républicain avec la chute du sultanat de Mehmet VI. Si Mustapha Kemal ne manqua pas de faire des promesses aux kurdes pendant cette guerre, déclarant que "le Turc et le Kurde vivraient comme des frères", on comprit très vite qu'il ne s'agissait que d'une stratégie pour s'assurer leur soutien. Dès lors que sa victoire militaire fût officielle, Kemal assura que « l'État qui vient d'être fondé est un État turc », empêchant d'emblée toute organisation autonome des Kurdes, de même d'ailleurs que tout autre type d'organisation politique indépendante.      


 


Répartition (en zones claires) de la population kurde sur les quatre pays.

  Le régime nationaliste de Mustapha Kemal devint très vite une dictature, et on le vit très bien dans son attitude vis-à-vis des kurdes notamment. Les écoles, associations ou publications kurdes furent interdites, et même le simple fait de parler le kurde. On ne laissait une place aux Kurdes que s'ils s'assimilaient aux Turcs. Face à cette régression importante (les kurdes ayant jouit d'une certaine autonomie et même d'une participation politique de leurs dirigeants sous l'Empire Ottoman), les tentatives de rebellions furent nombreuses dans les années qui suivirent, mais à chaque fois étouffées et réprimées dans le sang. Le premier ministre turc Ismet Pacha déclara à cette époque : « La seule nation turque est en droit de revendiquer des droits ethniques et raciaux dans ce pays. Aucun autre élément n'a ce droit ». Entre répression sanglante, déportations massives, négation de l'existence d'une nation kurde, le régime de Mustafa Kemal était ainsi en train de mettre au point sa doctrine officielle sur la question. Entre 1925 et 1939, on estime qu'1,5 millions de kurdes furent victimes des déportations et des massacres de l'armée turque. Cette répression allait aussi avoir pour conséquence la dévastation des territoires où vivaient les kurdes, ainsi le régime décida, en plus de l'occupation militaire, de déclarer la zone interdite aux étrangers, loi qui resta en vigueur jusqu'en 1965.



II - Une lutte au passé douloureux

C'est quelques années plus tard, en 1967, que des manifestations éclatèrent en Turquie et que des associations furent créées afin de revendiquer des droits aux kurdes. Mais l'interdiction des partis pro-kurdes amena à nouveau à une répression, cette fois par le biais de larges arrestations d'intellectuels et de politiques kurdes. Cependant, la cause de ce peuple persécuté commença à mobiliser d'autres partis en Turquie, comme le Parti ouvrier turc (TIP) qui devint un espace de ralliement des kurdes et qui reconnut, un fait rare voire initiatique, "l'existence du peuple kurde à l'Est de la Turquie".

Cette ébauche de reconnaissance, et la lassitude exacerbée des kurdes vis à vis de la politique fasciste de l'Etat turc effective depuis 50 ans poussa une partie d'entre eux à emprunter des voies plus radicales pour atteindre leur but. C'est ainsi que fût créé en 1978 le PKK (Parti des travailleurs kurdes) sous l'impulsion d'un homme qui devint ensuite le symbole de la rébellion kurde : Abdullah Ocalan.      



     

Alors que la Turquie pense l'avoir sorti du jeu, et fête déjà son arrestation comme la chute annoncée du PKK, Abdullah Ocalan continue de diriger son mouvement en délivrant ses instructions à ses avocats lors de leurs rares visites. C'est lui qui ordonne un cessez-le-feu unilatéral qui perdure jusqu'en 2004. C'est lui aussi qui commande au mouvement de renoncer à un Etat kurde indépendant et de militer pour une autonomie politique au sein de la Turquie. Ses différentes actions et décisions ont toujours été très respectées chez les kurdes, voire vénérées, à tel point que son influence dans la région est énorme. Il en fait étalage en 2012 lors d'une grève de la faim suivie par 700 détenus kurdes, dont il ordonne la fin au bout de deux mois. Son aura a été plusieurs fois comparée à de grands révolutionnaires de l'histoire, comme Mandela, Luther King ou encore Emiliano Zapata.     

C'est à ce moment que le PKK arrive à un tournant de son histoire. Après avoir répudié son obédience léniniste originelle en 1994, le parti se réforme de toutes parts en 2005, à la fois sur le plan des moyens, mais aussi des fins. Inspiré par l'obtention d'une région autonome des kurdes d'Irak, et ayant compris que la Turquie n'accorderait sous aucun prétexte un Etat propre aux kurdes à l'intérieur de son territoire actuel, le PKK prit la décision, non seulement de renoncer à la lutte armée, mais également de revendiquer, non plus son indépendance en tant qu'Etat-nation, mais son autonomie confédérale en tant que peuple opprimé. Une différence significative qui trouve tout son sens dans ce nouvel extrait de l'ouvrage d'Abdullah Öcalan Confédéralisme démocratique, qu'il a écrit en détention aux côtés d'un homme qui l'a beaucoup inspiré : Murray Bookchin, un essayiste américain écologiste et libertaire.        

alt
alt

Turgut Ozal, président turc de 1989 jusqu'à sa mort en 1993.

Dès son arrivée au pouvoir, Özal, dévoila ses origines kurdes, incita de nombreuses personnalités à faire de même et entama une rupture avec la politique kémaliste en vigueur. Il propose d'autres solutions, notamment une meilleure représentation des Kurdes en politique, l'amnistie des membres du PKK et une certaine autonomie du Kurdistan. Öcalan, en relation directe avec Özal, proposera un premier cessez-le-feu en mars 1993. Un mois plus tard, le président turc meurt en emportant avec lui ses projets.


Alors que les sources officielles annoncent une crise cardiaque, des membres de sa famille ont exprimé des soupçons quant à l'hypothèse d'un empoisonnement. Özal était le premier président qui avait réussi à entamer une politique de reconnaissance vis à vis des kurdes, mais il avait dû avancer sur un terrain hostile, en appuyant ses convictions pour faire avancer les choses. Ceci car l'Etat turc est composé d'un gouvernement et d'un parlement, mais son noyau reste constitué d'une bureaucratie réfractaire aux kurdes au sein de laquelle on retrouve des civils et des militaires qui détiennent un pouvoir fort, et même décisionnaire par rapport au parlement. Ainsi, le pouvoir qui prend la relève ne respectera pas la trêve, et enverra même les représentants kurdes qui étaient entrés au Parlement sous Özal, en détention. 


Les combats reprennent alors de plus belle, les forces turques repoussant le PKK dans ses derniers retranchements. Beaucoup de campagnes du Sud-Est furent dépeuplées, les civils kurdes se déplaçant vers des centres locaux défendables tels que Diyarbakır, Van et Sırnak, ainsi que les villes de Turquie occidentale voire en Europe de l’Ouest. Les militaires turcs évacuèrent de force des villages, détruisant des maisons et l'équipement civil pour empêcher le retour des habitants ; il est estimé que 3 000 villages kurdes en Turquie furent complètement effacés de la carte, représentant le déplacement de plus de 378 000 personnes.

Le PKK s'étend à partir de 2002 sur une plus importante zone d'action, toujours au sein des territoires kurdes, avec quelques actions en Irak notamment, mais cette transnationalisation ne se fait pas de manière unie. Ainsi le PKK est loin d'être le seul parti kurde, il en a inspiré plusieurs dans les pays où vivent une minorité kurde, mais ceux-ci ont emprunté leurs propres chemins, en ayant leur autonomie, comme le YPD en Syrie par exemple. Cela n'empêche pas ces partis de lutter globalement côte à côte pour l'autonomie de la nation kurde, ainsi que contre des ennemis communs, comme Daesh l'est actuellement. C'est donc presque exclusivement en Turquie que le PKK poursuit ses mouvements de guérilla entre 1994 et 2004, ce qui lui vaut le statut d'organisation terroriste aux yeux de la Turquie biensûr, mais aussi de l'Union Européenne et des Etats-Unis. Abdullah Öcalan est donc intensément recherché, ce qui le pousse à quitter la Syrie en 1998. Il tente de trouver refuge en Europe mais seule la Russie, un de ses seuls soutiens, accepte qu'il réside sur le territoire quelques temps. Il erre ensuite en Europe, puis part en Afrique où il sera arrêté par les services secrets turcs en 1999, au Kenya.

Jugé et condamné à mort, il ne doit sa survie qu'à la volonté turque d'entrer dans l'Union européenne et à la suppression de la peine capitale en Turquie en 2002. Sa peine "se réduit" donc à la détention à perpétuité, en isolement total sur l'île d'Imrali.

 

alt

Premier drapeau du PKK

alt

Alors qu'il est étudiant à Ankara en sciences politiques, Abdullah Ôcalan, lui-même kurde et donc d'emblée sensibilisé à la cause de son peuple, ne tarde pas à rentrer dans le militantisme. En 1972, ses revendications lui valent un premier séjour de sept mois derrière les barreaux, alors qu'il n'a que 23 ans. C'est 6 ans plus tard, en 1978, qu'il fonde avec d'autres le PKK, parti d'orientation marxiste-léniniste, visant l'indépendance des territoires à population majoritairement kurde se situant dans le sud-est de la Turquie. Très vite, le PKK fût considéré comme une menace de révolte importante par le régime, ce qui contraint la majorité de ses membres, dont Öcalan, à s'exiler sur les territoires voisins, en Syrie principalement. C'est là, à Damas ainsi que dans la plaine libanaise de Bekaa, qu'il constitue ses forces et installe son "quartier général". Les tensions avec la Turquie, malgré la "délocalisation" du PKK, ne tardent pas à émerger, d'autant plus lorsque Kenan Evren, à la tête de l'armée turque de l'époque, entreprit le coup d'Etat de 1980 qui eut pour conséquences la dissolution du parlement et la suspension des libertés publiques.

Le peuple kurde se retrouva à nouveau en situation de détresse et les mouvements de guérilla du PKK débutèrent en 1984.


Cette lutte armée, qui regroupait pour la première fois suffisamment de forces afin d'entrevoir l'espoir d'un succès pour les kurdes, constitua une véritable opposition à l'armée turque. Néanmoins, les combats démontrèrent rapidement la supériorité des forces de sécurité turques et de l'armée, dans le cadre d'un conflit qui prit rapidement des allures de guerre civile. Cela n'a pas empêché les deux camps de continuer à s'affronter. Principalement installés dans les montagnes, les combattants du PKK pouvaient utiliser au mieux leurs connaissances du territoire mais cédaient en retour face à la puissance de répression des autorités turques.

Une situation de guerre qui a affaiblit considérablement les forces du PKK, avant que n'arrive l'espoir d'une issue pacifique et heureuse pour les kurdes à l'aube des années 1990. Celle-ci fût issue du changement de président en Turquie : l'arrivée de Turgut Özal en 1989 initia une nouvelle politique turque à l'égard des kurdes.                   



Arrestation d'Abdullah Öcalan en 1999, qui sera montré face caméra drogué aux médias turcs, le faisant passé pour un abominable chef terroriste : plus d'informations dans le documentaire d'Arte plus bas

" A l’époque de la formation du PKK, dans les années 1970, le climat politique et idéologique international était caractérisé par le monde bipolaire de la Guerre froide, et le conflit entre le socialisme et le capitalisme. Le PKK s’inspira alors de l’essor des mouvements de décolonisation dans le monde entier, ainsi que de l'idéologie marxiste. Dans ce contexte, nous essayâmes de tracer notre propre voie, en accord avec les spécificités de la situation de notre pays. Le PKK n’a jamais considéré la question kurde comme un simple problème d’ethnicité ou de nationalité. Nous concevions notre mouvement comme un projet visant à libérer et à démocratiser la société." 


Abdullah Öcalan, dans son livre Confédéralisme démocratique​ (2011)

" Jusqu’alors, en ce qui concerne les questions d’ethnicité et de nationalité telle que la question kurde, dont les origines sont profondément enracinées dans l’histoire et les fondations mêmes de la société, une seule solution viable était envisagée : la création d’un Etat-nation, paradigme de la modernité capitaliste de l’époque. Toutefois, nous ne voyions pas, dans les modèles politiques existants, une possibilité d’amélioration durable de la situation des peuples du Moyen-Orient. 


La fondation d‘un Etat ne permet pas d‘augmenter la liberté d‘un peuple. Le système des Nations Unies, fondé sur les Etats Nations, a montré qu'il présentait de nombreux obstacles face aux évolutions sociales, et face à la démocratie, puisque dominé lui-même par le système capitaliste et une distribution verticale du pouvoir. L’appel à la création d’un Etat-nation kurde séparé représenterait alors les intérêts de la classe dirigeante et ceux de la bourgeoisie, mais ne reflèterait en aucun cas les intérêts du peuple ; en effet, un Etat supplémentaire ne ferait que renforcer l’injustice et entraver plus encore le droit à la liberté. Par conséquent, la solution à la question kurde se trouve dans une approche visant à affaiblir ou à repousser la modernité capitaliste. Les raisons historiques, les caractéristiques sociales et les évolutions concrètes relatives à cette question, ainsi que l’extension de la zone de peuplement des Kurdes sur le territoire de quatre pays ; tout ceci rend d’autant plus indispensable une solution démocratique. Il est également important de se rappeler que l’ensemble du Moyen-Orient souffre d’un manque cruel de démocratie. Grâce à la position géostratégique de la zone de peuplement kurde, le succès du projet démocratique porté par les Kurdes promettrait également de pouvoir effectuer des progrès dans la démocratisation de tout le Moyen-Orient. Ce projet démocratique, nous l’avons baptisé le confédéralisme démocratique.


Ainsi, le PKK a absolument renoncé à fonder un État-nation pour revendiquer à la place une autonomie confédérale du Kurdistan, qui s'installerait sous la forme d'un réseau de petites communautés autogérées par-dessus les frontières étatiques existantes. Depuis 2005, le PKK, (notamment inspiré par la stratégie des rebelles zapatistes au Chiapas), a déclaré un cessez-le-feu unilatéral avec l’État turc et a commencé à concentrer ses efforts sur le développement de structures démocratiques dans les territoires qu’il contrôlait déjà.
Animés par les idées d'Abdullah Öcalan, (et de Murray Bookchin cité précédemment), les membres du PKK revendiquent une politique de "l'écologie sociale" et proche du "municipalisme libertaire", appelant les Kurdes à créer des communautés autogérées, libres, fondées sur les principes de la démocratie directe, qui s’uniraient en dépassant les frontières nationales – espérant ainsi qu’avec le temps ces frontières perdraient de plus en plus leur sens. Ainsi proposent-ils que la lutte kurde devienne un modèle pour un mouvement global vers une véritable démocratie, une économie coopérative et une dissolution progressive de l’État-nation bureaucratique. Mais cette croyance et cette volonté démocratiques, dans le sens organisationnel et unitaire du terme, ne suffisent pas pour résumer ce projet incroyable et pourtant bien d'actualité, porté par Abdullah Öcalan et la très grande majorité des kurdes.


Dans le manifeste qu'il énonce le jour du Newroz (nouvel an kurde) le 20 mars 2005, Öcalan appuie également son discours sur la nécessité de mettre en place une société écologique et à combattre la discrimination sexuelle sur tous les fronts. Une volonté qui va de pair avec l'objectif premier du confédéralisme démocratique qui est de résoudre démocratiquement le problème kurde, de faire reconnaître l’identité kurde à tous les niveaux et de développer la langue et la culture kurdes, en dehors de tout obscurantisme ou de tout nationalisme. Cette émancipation, qui doit venir du bas selon Öcalan, est impossible dans un système centralisé autour d'un Etat, qui s'attachera systématiquement à reconnaître une identité unique au peuple qu'il dirige, et qui risque par conséquent de tomber dans le consensus. Celui-ci sera évidemment plus ou moins fort en fonction du degré d'autorité et de communautarisme imprimés par l'Etat, mais on voit actuellement que cette problématique touche de nombreux Etats-Nations, à commencer par la Turquie (qui est par ailleurs loin d'être la seule...) dont on peut dire que la réalité se rapproche même plus de l'intégrisme et du nationalisme que du simple consensus.


Le paradoxe est que ce système traditionnel basé sur un Etat central et fort, dont on remarque très lisiblement qu'il revient en force aujourd'hui partout dans le monde, rentre en contradiction complète avec les nouvelles valeurs et croyances issues de l'ouverture permise par la mondialisation, qui émergent également de manière forte et massive sur l'ensemble du globe, grâce à tous les moyens d'information, d'expression et de communication que nous connaissons. L’essor d’un multiculturalisme mondial, la prise de conscience antiraciste, le besoin avéré et conscientisé d'un nouveau modèle économique, plus écologique et plus social, la progression de l'éducation (qui amène de plus grands besoins et potentiels démocratiques), la nécessité de plus de paix, de plus de dialogue, de plus de partage et d'échange entre les individus et entre les peuples ; autant de vélléités populaires qui ne correspondent en rien aux actes et aux perspectives adoptés par la plupart des Etats actuellement, ainsi que leurs alliés de pouvoir appartenant à la sphère de la finance.


 

 

alt
alt

Drapeau de l'Union des Communautés du Kurdistan (KCK) et emblème du confédéralisme démocratique.

Conclusion

 Le projet du confédéralisme démocratique réside justement dans l'idée contraire, à savoir ne plus déléguer la gestion de l'intérêt général à des individus élus – quand ils le sont – et détenant un pouvoir centralisé qui leur permet souvent de se servir au lieu de servir, mais à l'inverse de laisser se construire un modèle qui, prenant son essence dans le peuple, à échelle locale, pourrait être fondé sur une société qui se gouverne elle-même, dans le cadre écologique-communal garantissant la liberté pour chacune des composantes sociales, ethniques, économiques, culturelles ou religieuses de la nation, et même des nations.. Puisqu'un tel modèle, si il est mis en place et réellement autonome, permettrait non seulement aux kurdes, et à toutes les personnes consentant à les imiter, l'autogestion et l'autosuffisance, y compris économique, ainsi que l'établissement avec les États voisins de relations saines reposant sur le principe d’une union libre et équitable, dans le respect des droits culturels, sociaux et politiques de chaque individu et de chaque nation, quelle utilité et quel sens pourrait-on trouver à conserver des frontières matérielles et brutalement séparatistes entre les territoires ? J'imagine ce que vous vous dites, on est très loin de la réalité, et il s'agit d'une théorie, d'une pensée mise dans son plus ample perspective, peut être utopiste, mais sans doute ne l'est-on pas assez... Öcalan, lui, n'hésite pas sur les mots et n'utilise pas le conditionnel quand il parle du modèle qu'il a créé et qu'il pense universellement viable : " Face à l’impérialisme mondial, la confédération démocratique veut développer la démocratie mondiale qui, au XXIe siècle, peut englober toute l’Humanité, aboutir à une confédération démocratique mondiale et donc s’ouvrir sur une nouvelle ère." 


Une citation qu'on trouve dans le livre "Les sentiers de l'utopie" d'Isabelle Frémeaux et de John Jordan me semble assez bien illustrer cette idée, et surtout le combat et l'évolution de la pensée d'Abdullah Öcalan : "il est impossible de changer ou d'agir sur le passé, alors prends garde au présent que tu crées, car il doit ressembler au futur dont tu rêves."  

   

  Il est étonnant de s'apercevoir combien le visionnage de cet excellent documentaire réalisé par Arte, qui montre plutôt objectivement l'histoire injuste et tragique du peuple kurde jusqu'à aujourd'hui, contraste violemment avec la visée libertaire incarnée par la pensée décrite plus haut du confédéralisme démocratique, porté par Öcalan et par les kurdes. Il est d'ailleurs regrettable que ce documentaire n'aborde pas cette facette du combat du PKK et des kurdes. Car, si celui-ci a souvent été entraîné dans un cycle de violence endogène, porté par le désir d'indépendance, de reconnaissance nationale, mais aussi par un compréhensible besoin de vengeance, le PKK et les kurdes ont apporté une évolution considérable à leur lutte ces dernières années, en revendiquant non seulement leur droit à la dignité, mais aussi en soutenant un véritable projet politique et un changement des mentalités à presque tous les niveaux.


Il est frappant de constater l'humilité, l'éthique et la justesse de ces revendications kurdes, dans un contexte où ce peuple se trouve être l'épicentre et la victime innocente de ce qu'on appelle la troisième guerre mondiale, opposant au Moyen-Orient, et surtout en Syrie, de multiples belligérents. Il s'agit dans l'écrasante majorité d'Etats-nations, de coalitions d'Etats ou de groupes venus combattre dans cette zone de guerre, (jadis temple historique et berceau d'une civilisation pleine de richesses, aujourd'hui transformé en champ de ruines), presque exclusivement pour défendre leurs propres intérêts en manoeuvrant des stratégies géopolitiques, où seuls le pouvoir d'influence, la notoriété, le maintien de la sécurité intérieure et les ressources économiques de ces entités ne semblent compter.


Ce conflit a causé la mort de presque 500 000 personnes à ce jour, et la fuite de plus de 3 millions de syriens. Les médias et les gouvernements occidentaux nous rappellent sans cesse ces chifrres, nous montrent les atrocités qui sont commises en Syrie, de la part de Daesh, du régime Assad, des rebelles, des russes, etc. Ils se confinent dans une logique d'émotion, d'eurocentrisme et de peur que rumine l'Europe depuis maintenant quelques temps, bloquée entre un terrorisme barbare qui s'invite sur ses terres et le risque d'invasion qu'elle entend provenir des portes de la Méditerrannée. Oh, Europe ! Quelle pauvre Europe ! Elle qui s'était élevée, développée plus vite que tous grâce aux joyaux de l'industrialisation et au doux vent des lumières mêlé à celui de l'Amérique, l'Europe dont les succès militaires et la richesse apparente lui a donné l'illusion d'être légitime pour aller conquérir et coloniser le monde afin d'y appliquer ses lois, et de le conformer à son image ! Pauvre Europe, elle se retrouve aujourd'hui jalousée, au centre de toutes les convoitises, si attrayante pour les réfugiés fuyant les bombes, qu'elle largue elle-même sur leurs villes : tout ce qu'elle voulait éviter notre vieille Europe ! L'Europe, elle est aussi attaquée sur son sol, visée par le terrorisme, persécutée par les médias, critiquée de toutes parts pour sa faiblesse, son manque de coordination et de politique commune. Cette Europe dont les valeurs mêmes sont d'une ambiguïté extrême à l'heure où nombre de ses membres, ferment leurs frontières à double tour, de nouveau tentés par l'autoritarisme et les tendances d'extrême droite, et où se négocie avec Recep Tayip Erdogan un accord visant à sous-traiter la crise des migrants à la Turquie pour 6 milliards d'euros...


Qu'est-ce qui a pu la faire tomber si bas, notre vieille Europe ? Elle, qui s'accroche pourtant laborieusement à représenter les valeurs "fondamentales" qu'elle s'était fixées, de paix, de démocratie, de liberté, d'égalité, de respect de la dignité humaine ou encore de solidarité, en ne les clâmant que dans un discours symbolique dont elle semble avoir perdu le sens. Empétrée dans les mécanismes d'alliances et d'influence de la realpolitik actuelle, dont les acteurs, pour la plupart, appellent pourtant à une issue la plus démocratique possible en Syrie, l'Europe a choisi d'ignorer la question et le projet démocratique kurdes, ainsi que de fermer les yeux sur la guerre menée contre les kurdes par la Turquie, avec qui elle s'est alliée.


Car si a été décrite et expliquée plus haut la répression exercée par la Turquie envers le peuple kurde dans le Sud Est du pays, et son refus total de négocier avec quelque parti kurde, il faut aussi mettre l'accent sur la politique défaillante de l'Etat turc en Syrie, et tout ce que cela engendre. Ayant tenu à réaffirmer sa position de rejet radical et inconditionnel vis à vis des kurdes depuis un an, Recep Tayip Erdogan a multiplié les attaques militaires envers les partis kurdes engagés en Syrie. Ainsi, les forces armées turques ont frappé les combattants du PKK et des YPG (Unités de protection du peuple) à l'intérieur de la Syrie.

Qu'est ce que sont les YPG ? Des unités de combattant(e)s kurdes syrien(ne)s rattachées au PYD (Parti de l'Union démocratique) : le principal parti politique kurde syrien, lui aussi défendant le projet du confédéralisme démocratique qu'il a même pu installé au nord de la Syrie en 2016, suite au retirement des troupes du régime Assad de la région kurde du nord-est syrien, désormais appelée Rojava grâce à sa récente conversion en entité fédérale autonome en 2013.  Les YPG sont soutenues par le PKK en Syrie, depuis 2011, et luttent avec acharnement contre l'avancée de l'Etat Islamique, arrivé sur le territoire kurde syrien en 2012. Ils parvinrent même à reprendre Kobané, ville désormais célèbre située à la frontière turco-syrienne, aux mains de l'EI en janvier 2014. Ils combattent également les différents groupes rebelles syriens, ainsi que les troupes du régime, mais de manière moins soutenue. Ces avancées militaires, témoignant d'une grande férocité et d'une bonne organisation kurde face aux armées à la fois de l'EI, des groupes rebelles, et du régime Assad, ont valu au PKK et au PYD de gagner en légitimité et de capter un peu plus d'attention internationale ces derniers mois. Aussi leur vision sociale progressiste a permis au HDP de faire une percée aux dernières élections turques, ce qui n'a pas suffit pour raisonner la soif de pouvoir de Recep Tayip Erdogan.  


Depuis octobre dernier, les forces armées turques n'ont donc pas seulement frappé les villes kurdes dans le sud-est de la Turquie, mais également les combattants du PKK et des YPG à l'intérieur de la Syrie. L'Etat turc a opté pour la stratégie de mener une guerre périlleuse anti-kurde, en frappant les camps de combattants kurdes partout où il le pouvait : en Turquie, en Syrie et même en Irak contre les peshmergas kurdes (forces armées du Kurdistan Irakien). Un acharnement qui semble non seulement injustifié envers les kurdes, mais qui soulève également une grande ambiguïté par rapport à la poisition d'Ankara vis-à-vis de l'Etat Islamique. En effet, la Turquie est de plus en plus communément accusée de prêter main forte à la plus importante organisation terroriste de l'histoire, suite à son intervention contre les kurdes pendant la bataille de Kobané en 2014, ainsi que la porosité de la frontière turco-syrienne qui permettrait l'entrée des djihadistes et du pétrole de Daesh.

De lourdes et accablantes suspicions qui ne risquent pas de se calmer quand on tend l'oreille aux dernières révélations au sujet du fils de Recep Tayip Erdogan : Bilal. Ce dernier, déjà accusé de trafic d'influence et de malversations en 2013-2014, est un administrateur de la société maritime turque MBZ, qui a joué un rôle dans le transbordement du pétrole de l'EI vers Malte, et ensuite vers Israël. Des accusations qui semblent donc confirmées par de nombreuses preuves, et qui ennuient quelque peu les puissances occidentales alliées de la Turquie, en particulier les Etats-Unis, dont la base militaire établie à Incirlik sert à bombarder l'EI. Dans le même temps, les américains peuvent attester du lancement des frappes turques en direction des forces kurdes, notamment contre les YPG, soutenu(e)s par les américains sur le terrain syrien. De quoi perdre la tête... D'autant plus que ces alliances paradoxales et stratégiques, de la part de la Turquie et par corollaire des Etats occidentaux, s'entrecroisent dans un moment clé du conflit où les avancées des forces kurdes et de l'opposition syrienne libre, si elles étaient réellement appuyées par les puissances extérieures, auraient toutes leurs chances de percer pour de bon. Une situation qui présenterait une potentielle issue pacifique (et démocratique) à la guerre civile qui sévit depuis 5 ans maintenant en Syrie, et qui allégerait considérablement les problèmes de l'Europe, engagée en partie dans ce conflit et qui souffre de ses nombreuses externalités négatives (terrorisme, vague d'immigration).


Une solution éventuelle sans Assad, vraissemblablement démocratique, qui comprend donc les composantes essentielles des objectifs annoncés par l'Europe, et de nombreux Etats depuis l'origine du conflit, mais dont ils ont apparemment la ferme intention de l'ignorer.    



   









Prochain long format du pureplayer P A U S E 

Sur la résistance et l'autonomie démocratique établie au Rojava par les kurdes de Syrie, abordé dans ce dossier.

A venir...